Originaires de Gagnoa, Djédjé Dahon Herman, Bokou Wilfried et Nassé Marc sont trois médaillés d’or des jeux mondiaux de Berlin (2023) et de Los Angeles (2015) (équivalant des Jeux olympiques pour personnes valides). Ces athlètes évoluent dans le cadre du Spécial Olympics, un programme international de sport pour les personnes ayant une déficience intellectuelle. Sa compétition phare, les Jeux mondiaux, se tient tous les quatre ans, à l’instar des Jeux olympiques d’été (le plus connu). Dans ce dossier, nous levons un coin du voile sur le Handisport et son démembrement, Spécial Olympics, lancé en Côte d’Ivoire depuis une trentaine d’années. Vulgarisé à l’intérieur du pays, notamment dans le département de Gagnoa, les athlètes handicapés ne cessent d’y glaner des lauriers, aussi bien en international que national, faisant de ce département un véritable vivier de champions en Handisport.
Djédjé Dahon Herman, 28 ans, originaire d’Oni-Babré, village aujourd’hui phagocyté par la commune de Gagnoa, est né avec une déficience intellectuelle. En dépit de son handicap, il réalise des prouesses. À preuve, il a obtenu une médaille d’or en Allemagne aux derniers Jeux mondiaux « Berlin juin 2023 ». Inscrit au sous-programme spécial Olympics de Gagnoa, Herman est champion du monde dans la discipline « Bossé » (pétanque). « Cette victoire me fait plaisir et je la dois à tonton Charles (son coach) », dit-il, en présentant fièrement sa médaille d’or.
Avant celle acquise par Herman en 2023, deux autres athlètes de Gagnoa avaient brillé aux États-Unis lors des Jeux mondiaux Los Angeles 2015 de Spécial Olympics. Il s’agit Bokou Wilfried, habitant du quartier Soleil de Gagnoa, avait décroché la toute première médaille d’or de la délégation ivoirienne à ces jeux. Dans la discipline Bossé (pétanque), cet homme est aujourd’hui en apprentissage dans la ferronnerie à Gagnoa. Il constitue avec Nassé Marc, résident au quartier Zapata et tapissier après un passage au centre de formation professionnelle (CFP) de la ville, la paire d’athlètes handicapés intellectuels de Gagnoa revenus des Etats-Unis munis, chacun, d’une médaille d’or dans la discipline « Bossé. »
Leur encadreur, Gbana Marc, révèle que, depuis 2011, en sa qualité de responsable du sous-programme Spécial Olympics à Gagnoa, il assure le suivi des athlètes qui portent un handicap intellectuel. Tous les dimanches, entre 16h et 18h, ses athlètes et lui se rencontrent pour des séances d’entraînement sur un espace de fortune, complètement dénudé, de l’école primaire publique « BAD », au quartier Soleil. Pour avoir fait de son fils un médaillé d’or, le père d’Hermann voue sa reconnaissance à Gbana. Puis d’ajouter : « je félicite les encadreurs de Spécial olympics Gagnoa pour leur persévérance ».
« Trois médailles d’or pour Gagnoa en deux éditions de jeux mondiaux, c’est une sacrée performance », se réjouit le directeur régional des Sports du Gôh, Dah Justin. S’ils ont été médaillés olympiques, c’est grâce au travail « permanent et régulier » mené par les encadreurs du programme Spécial Olympics à Gagnoa et qui a fait de ces athlètes, des champions de Côte d’Ivoire sur plusieurs années et « c’est important à relever », fait-il remarquer.
La vision du coach
« Laissez vos enfants venir à nous, mais surtout, accompagnez-les, ils seront très fiers et heureux, et cela décuplera leurs performances », a assuré le coach Gbana Charles. Selon lui, ces jeunes peuvent devenir de vrais champions et avoir leur place dans la société, s’ils font des compétitions. « Ne les gardez pas à la maison », plaide-t-il. Gbana Charles fait observer que « les parents sont contents, parce que c’est une occupation saine pour leurs progénitures ». Il révèle que depuis 2011, ses amis et lui ont encadré une trentaine d’athlètes handicapés intellectuels. « Chaque dimanche, je prends Herman sur ma moto et on part à l’entraînement. Quand tu dis 16 h, qu’il s’amène à 17 h, lui ne comprend pas pourquoi tu n’es pas content. Alors que pour lui, ce n’est rien. Mais, on fait avec et on gère ainsi le comportement au quotidien », relève l’encadreur.
Selon lui, s’occuper des handicapés intellectuels constitue un véritable « sacerdoce » et les médailles obtenues sont un « exploit », au demeurant, dans une ville comme Gagnoa, « démunie du minimum d’infrastructures sportives pour handicapés ».
Bénévole à spécial Olympics, le coach annonce la reprise des entraînements dès le mois d’octobre. À côté des médaillés de Spécial Olympics, Gagnoa a aussi été honoré au plan international que national chez les personnes handicapées physiques ou motrices, dans la catégorie Handisport.
L’une des plus illustres athlètes est sans nul doute Béda Yasmine. Jeune élève de terminale G dans un établissement privé de Gagnoa, elle se déplace sur les genoux (déformation à la naissance). Elle est revenue du championnat d’Afrique 2023 en Ouganda avec trois médailles de bronze en Parabadmilton (genre de tennis). « J’ai découvert ce sport il y a juste quelques années et je m’y sens bien », fait savoir la jeune lycéenne qui reprend la terminale cette année. Avec leurs aînés de la Fédération ivoirienne de randonnée pédestre (FIRAPE) de Gagnoa, tous les samedis, ils renforcent leurs capacités sur l’espace contigu de la place Laurent Gbagbo de Gagnoa.
Toujours à Gagnoa, au niveau national, Donou Alexandre, 28 ans, athlète handicapé unijambiste, est auréolé de trois médailles. Une en or au 400 m en parafit à la compétition nationale de 2023 organisée par le ministère des Sports et la FIRAPE. Il s’est aussi distingué par une autre médaille d’or en endurance (Handit Fit-genre de marathon) et un trophée dans la catégorie Béquille, lors du championnat national tenu le 29 juillet 2023 au stade Robert Champroux de Marcory (Abidjan). En 2022, lors de l’Open Parabamilton (genre de tennis) à Abidjan, il a décroché une médaille d’argent toujours dans la catégorie Béquille.
« Je fais de mon handicap un atout. Ne restez pas à la maison. Intégrez le groupe et faites valoir vos compétences. Tu es handicapé physique, tu n’es pas handicapé moral », a affirmé Donou Alexandre en s’adressant aux personnes en situation de handicap.
Un autre athlète Handisport de Gagnoa, Négbéhi Michaël, médaillé d’argent à l’Open d’Abidjan en 2023, dans la catégorie Béquille, s’en prend aux handicapés qui se morfondent. « C’est le pied ou le bras qui n’est pas normal. Mais ta tête, ça réfléchit. Donc, tu peux faire beaucoup de choses », lance-t-il. À ses côtés, Bailly Ogoulablé Simon Pierre brandit fièrement sa médaille de bronze, catégorie fauteuil roulant Parabamilton 2023 obtenue à Abidjan. Il plaide auprès des autorités de Gagnoa, pour l’acquisition de « petits matériels ».
Outre ces hommes, des femmes natives de Gagnoa se sont également distinguées. Il s’agit de Samogo Rokia, médaille bronze Bamilton 2023, et Nondé Nadège, médaillée d’argent.
Le rôle joué par le club Handisport dans l’émancipation des handicapés
Professeur d’art plastique, Koffi Konan Olivier est le président de l’Association départementale des personnes handicapées de Gagnoa et président du Club Handisport, ligue de Gagnoa. Fondé en 2021, l’on y pratique plusieurs disciplines dont le parabadmilton l’handit fit et un sport qui est en train d’être intégré, le basket fauteuil roulant.
« Ce sport nous offre gratuitement la rééducation, alors que payons une petite fortune pour des séances dans les centres spécialisés. C’est intéressant », lâche d’emblée le président des personnes handicapées. « C’est une opportunité de sortir. Quand vous restez chez vous, les muscles ne travaillant pas, demeurent toujours contractés et s’atrophient encore plus, mais en venant faire du sport, c’est la santé », confie-t-il. Notons qu’une quinzaine d’athlètes pluridisciplinaires forment son écurie, dont une bonne poignée de médaillés lors des compétitions en Afrique et en Côte d’Ivoire. « Les athlètes de Gagnoa se surpassent. Partout où nous allons, nous revenons avec des médailles », se satisfait-il.
« L’aide attendue des autorités concerne le niveau logistique, matériel », a fait savoir le président du club. Il a invité la population de Gagnoa à se souvenir que le handicap n’empêche pas de faire du sport, comme ils peuvent le constater. « Donc, nous les invitons à changer de prisme sous lequel ils voient les personnes handicapées », fait-il savoir.
Connu pour avoir produit de grands sportifs au football, dont feu Joe Bléziri, feu Lébry Manahoua Jérôme, Gouaméné Alain, Tizié Jean-Jacques, Zokora Didier et plus près de nous, Franck Kessié, le département de Gagnoa a connu d’autres succès en sport de combat avec notamment la double médaillée olympique Ruth Gbagbi et le champion du monde de King boxing, Gnédré Fabrice.
Un dossier de Dogad Dogoui
AIP Gagnoa
Dd/kp
Interview : Dézahi Mathias (DTN Spécial Olympics)
Enseignant d’éducation physique et sportive, ancien champion d’Afrique universitaire du 400 m plat, Dézahi Mathias est le Directeur technique national Spécial Olympics depuis une dizaine d’années. Sous la direction de l’ex-footballeur international, Kabi Apollinaire, il supervise avec son second, Éloi Kouadio Brou, les encadreurs et athlètes de Spécial Olympics à travers la Côte d’Ivoire.
– Quel regard jetez-vous sur les performances des athlètes de Gagnoa??
– Gagnoa, c’est bon. Et c’est vraiment encourageant. Trois médaillés d’or en deux jeux mondiaux, issus d’une même localité, ça fait plaisir. On m’a annoncé que le député-maire de Gagnoa, Yssouf Diabaté a décidé d’ouvrir une porte au médaillé Djédjé Dahon. C’est vraiment mérité. Notre souhait est qu’il y ait encore plus de bénévoles afin d’ouvrir d’autres disciplines, tels que l’athlétisme, le football, le judo, le tennis de table. Si on prend le temps de former le personnel du centre social de Gagnoa par exemple, je pense que l’on peut avoir de nombreux athlètes.
– Comment Spécial Olympics se porte-t-il en Côte d’Ivoire??
– Aujourd’hui, Spécial Olympics est dans les villes de Divo avec le handball, à Yamoussoukro avec le football et l’athlétisme, Abengourou, avec le basket et le football. D’autres localités pratiquent aussi le sport avec des handicapés intellectuels. Un moment, on avait des difficultés, parce que vu qu’il s’agit de bénévolat, tous ceux que nous formions s’en allaient. Donc, chaque année, nous recommençons le travail. Maintenant, ça va un peu mieux, même si de nombreux encadreurs sont découragés, compte tenu du manque de moyens financiers pour le programme. Néanmoins, aux derniers jeux mondiaux, nous sommes revenus avec dix médailles d’or.
– Quelles sont les ambitions de votre direction technique??
– Couvrir la Côte d’Ivoire en installant des programmes Spécial Olympics dans toutes les villes du pays. Malheureusement, nous manquons de formateurs et c’est encore plus difficile à l’intérieur du pays. Notre souhait est de voir les enseignants de sport former nos athlètes. Hier, nous avons connu des moments de gloire avec l’engagement et le bénévolat de nombreuses anciennes gloires.
– Quel message lancez-vous aux parents??
– Nous leur demandons de permettre aux enfants de faire du sport. Ils ont beaucoup à y gagner. Aujourd’hui, en faisant travailler les enfants, nous leur donnons la possibilité d’êtres autonomes et c’est important, parce qu’au bout, il y a la socialisation avec les autres, ainsi qu’un bien-être. Notre souhait est que les enfants se prennent en charge et surtout, que les parents ne regardent pas les frustrations.
Source: Agence Ivoirienne de Presse