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Côte d’Ivoire-AIP-Interview/ Nadège Kouadio (ONG Femme en action) : ” il y a trop de disgrâce en matière de droits de la femme “

Créée en 2011, l’ONG Femme en action milite en faveur des droits de la femme et a ouvert son deuxième centre d’écoute et d’hébergement des survivantes des Violences basées sur le genre (VBG) en février 2023, à Agboville, après celui d’Abidjan en 2016. Dans cette interview, la vice-présidente, Nadège Kouadio, par ailleurs coordinatrice de l’agence d’Agboville, revient sur les actions menées, leurs expériences et leurs attentes pour marquer la célébration de la Journée internationale des droits de la femme (JIF).

AIP : ONG Femme en action, quelles sont vos actions ?

Nadège Kouadio : L’ONG Femme en action est une organisation féminine non-gouvernementale de la société civile ivoirienne. Elle est engagée dans la défense et la promotion des droits de la femme et des enfants particulièrement sur les violences faites aux femmes. Notre mission, c’est d’apporter aux femmes et aux filles, les moyens d’être des actrices averties pour le développement et la cohésion dans leurs communautés respectives.

Nous avons deux programmes Top fille et Agit femme. Sur le terrain nous faisons l’éducation sexuelle complète à la vie saine, la communication parent-enfant et aussi nous menons des actions pour sauver les droits de la jeune fille. Nous disons stop aux VBG dans le programme Agit femme. Nous avons ouvert ce centre d’écoute et d’hébergement des victimes de VBG. Nous menons aussi des activités d’éducation, de sensibilisation, d’alphabétisation pour les femmes et nos survivantes. Nous luttons aussi pour l‘autonomisation de la femme et nous menons également des actions humanitaires.

AIP : Quels sont les droits de la femme pour lesquels vous militez ?

Nadège Kouadio : Comme je l’ai dit, nous sommes particulièrement axés sur le volet VBG. Nous pensons que les premiers droits pour lesquels nous nous battons, c’est le droit à la vie, à la sécurité. Il est constaté nombreux cas de violences à l’encontre des femmes, que ça soit physique ou moral ou encore des violences sexuelles ou conjugales. Il y a des violences qui amènent des personnes à garder les femmes dans un certain niveau de pauvreté, de vulnérabilité. Donc nous, nous réclamons ces droits pour que les femmes puissent être épanouies parce qu’une femme vulnérable n’est pas en mesure de révéler les potentiels qui sont elle qui va lui permettre de s’épanouir, d’être autonome et de faire exercer ses droits. Quand on parle d’alphabétisation, c’est que la femme a été déjà privée de son droit à l’éducation du fait qu’elle est analphabète.

AIP : Avez-vous le sentiment que vos actions portent ?

Nadège Kouadio : Oui oui. Nos actions ont beaucoup porté parce que durant nos différentes activités nous avons reçu des femmes qui étaient dans des situations de vulnérabilité et des survivantes de VBG. Plusieurs ont pris conscience du fait qu’elles ne devaient pas avoir honte d’être dans une position délicate, qu’elles n’étaient pas seules dans la lutte et qu’elles pouvaient compter sur l’ONG Femme en action et d’autres organisations. Cette prise de conscience, nous a réjouis parce que ces femmes dans leurs communautés, dans leurs associations, vont relayer l’information auprès de leurs sœurs. Elles diront, maintenant ce n’est plus tabou quand une femme a telle ou telle situation, elle peut en parler sans avoir honte. Le premier besoin qui manquait, c’était de créer le cadre d’échanges entre ces femmes et nous avons ouvert ce centre d’écoute et d’hébergement. Le deuxième, c’était le lieu. Quand une femme a la vison de ce prendre en main, de défendre sa personne, son corps et de dit non je ne veux plus telle chose, le premier obstacle qui s’oppose à elle, c’est savoir où elle va rester en cas de conflit. C’est à cela que nous avons pensé en mettant le centre en place. Pour le cas des jeunes filles, nous avons des parents en situation de vulnérabilité qui utilisent leurs filles comme marchandises sexuelles. Nous avons des témoignages de ces filles et nous avons reçu un cas qui en avait assez mais ne pouvait pas le dire. Nous sommes en train de travailler avec elle, nous sensibilisons les parents aussi, mais ce n’est pas facile. Il faut travailler à faire sortir les parents de cette précarité pour ne pas qu’ils utilisent à nouveau leur enfant. C’est à ce niveau que nous nous penchons vers nos partenaires étatiques pour voir comment aider ces ménages pour que les enfants aient une vie normale.

AIP : Quelles sont les causes qui sont à l’origine des VBG pour les cas que vous avez reçu ?

Nadège Kouadio : Vous savez, le premier coup est de trop. Quand une femme a par exemple insulté son mari qu’il l’a redresse en parole ou par des coups, ce n’est pas un enfant ou encore moins un animal. La femme peut être fautive aujourd’hui et demain l’homme peut-être fautif. Il va dire n’importe quoi à sa femme ou même lui porter main. Mais à son tour, est-ce qu’il reçoit des coups ? Je prends l’infidélité, les hommes ont horreur de l’infidélité pourtant ils sont infidèles tout le temps. Chez eux quand une femme est infidèle, il faut lui porter mains, il faut ternir son image, il faut la vilipender, il faut la traiter de tous les noms et le bonus même, il faut la répudier. Parfois le mari se retrouve avec d’autres femmes, la femme surprend son mari avec une autre, il peut laisser la femme dans la misère, sans ressources avec les enfants et part avec une autre. Mais est-ce que la femme lui porte mains ? Elle peut se servir d’un objet pour lui porter main ou prendre une arme contre lui parce qu’elle a mal. Mais elles ne le font pas mais pourquoi un homme dit la femme s’est mal comportée je vais la redresser ? Ce n’est pas possible. Il y a trop de disgrâce. La soumission nous ne la voyons de cette manière dans le foyer. La soumission c’est une femme douce, aimante, attentionnée, mais attention, une femme aussi qui reçoit en retour tout ce que j’ai cité et du respect aussi. Normalement si une femme remplit ses critères elle doit avoir le retour de son homme, mais parfois ce n’est pas le cas. Ils reprochent à certaines de faire trop de filles. Tu es bien mais tu as fait trop de garçons par exemple. Il y a toujours un mais, ça c’est un constat qu’on a fait et ça nous fait beaucoup de peine parce que souvent ce sont des futilités, des choses qu’on peu dépasser.

AIP : Vous jouez donc le rôle de conseillère conjugale ?

Nadège Kouadio : Bien sûr parce qu’on lutte aussi pour que la famille reste unie et que les enfants puissent grandir avec leurs deux parents. On dit toujours aux femmes vivez avec le bon côté de votre mari. Nous souhaitons qu’il y ait moins de violence dans les familles parce que c’est ce qui fait que des enfants grandissent en étant violents même avec les jeunes filles. Récemment on a réglé un cas de violence où on a pris l’appui d’un imam. Le jeune n’a même pas attendu le mariage pour montrer qu’il est violent. La jeune fille a fini de causer avec un jeune, elle a repris la route aussitôt elle a reçu une gifle de son prétendant qui lui souriait. Elle dit tellement qu’elle était étonnée de sa réaction, elle a rendu la gifle sans même s’en rendre compte. Et là c’est un prétendant et ça n’a rien à avoir avec quand ils seront à deux dans la maison. Du coup, elle a renoncé à tout et Dieu seul sait combien de fois il l’a harcelé. On a dû demander au guide religieux d’intervenir. L’imam lui a dit mais ce n’est pas ce qu’on vous dit à la mosquée, il lui a fait des remontrances. Mais sur le téléphone, il lui envoyait des menaces de mort. On lui a demandé de porter la plainte aussi à la police au niveau de la cellule de lutte contre les VBG à cause des menaces de mort. Mais elle a tenu bon jusqu’à ce qu’il abandonne.

AIP : Lutte pour les droits de la femme et la religion ou encore les traditions, vous êtes confrontés à un contraste ?

Nadège Kouadio : J’ai aimé l’intervention d’une dame dans une assemblée. Elle disait qu’avant les femmes, de façon générale, pouvaient être chef de village mais quand elles atteignent la ménopause. Elle dit qu’avant la ménopause, avec les hormones, la femme est beaucoup capricieuse, susceptible, elle n’a pas une bonne affirmation. A partir de la ménopause, la femme devient comme un homme et elle a avait le droit de demander à être chefs aussi. C’est une information que nous, on n’avait pas.

Aussi, on ne pas faire quelque chose qui puisse aller à l’encontre d’un couple, d’une communauté ou de quelqu’un. C’est pourquoi nous essayons de faire ce qui peut être bon pour tout le monde. Si tu acceptes que la coutume est bonne pour toi et que nous constatons qu’elle est bonne pour toi, on l’accepte aussi. Ce n’est pas qu’avec le droit des femmes on veut balayer du revêt de la main la coutume. Non, pas du tout. On veut juste rajouter quelque chose pour ses femmes qui ont un peu plus de caractère, qui sont leaders, qui ont d’autres visions. Pour ces femmes, il faudrait que la coutume accepte de leur donner leur part, leur droit dont elles ont besoin. Par exemple le droit à la parole en public, le droit à la terre.

AIP : Au-delà du volet festif de la célébration de la Journée internationale des droits de la femme, est ce que vous avez des attentes à l’endroit des décideurs ?

Nadège Kouadio : Oui pour cette célébration, l’ONG Femme en action a beaucoup d’attentes. En rapport avec nos activités sur la santé sexuelle et reproductive, je pense immédiatement à l’avortement sécurisé pour des cas précis par exemple pour les cas d’inceste, de viol. A ce niveau, les décideurs ont fait un pas. Ils ont ratifié des lois, il reste à mettre cela en exécution.

Dans nos activités, nous rencontrons des difficultés liées aux us et coutumes, à la religion. On est avec les guides religieux et traditionnels et quand on dit la femme a un certain quota dans les assemblées élue, ils disent oui. Mais quand vous entrez dans les cas pratiques, vous allez être confrontés au fait que ces personnes on dit oui en public ou sur papier mais réellement elles ne sont pas préparées. Ça veut dire que la sensibilisation doit continuer pour que toutes ces personnes qui sont au devant, qui peuvent aider les femmes à jouir pleinement de leurs droits, puissent aussi nous aider.

Source: Agence Ivoirienne De Presse