Côte d’Ivoire-AIP/ A Dignago, ces femmes qui chargent des remorques de caoutchouc (Reportage)
Avec pour seul outil une moitié de bidon vide de 25 litres, une centaine de femmes de Dignago, village situé à 40 km de Gagnoa, réussissent régulièrement à charger, en l’espace de trois heures, 40 tonnes de coagulum de caoutchouc (le latex solidifié dans une tasse) dans un camion-remorque de 18 roues. Objectif, sortir de la pauvreté. Elles sont regroupées au sein de l’association « Benkéléman ». Découverte.
Bien que devenue le chef-lieu de sous-préfecture depuis plusieurs années, Dignago a conservé son caractère de village, à l’exception de la route bitumée Gagnoa-Guibéroua-Dignago-Issia qui la traverse.
Il est 12h45. À l’entrée de la localité, sur la gauche, une quinzaine de femmes produisent du charbon de bois, occupées à différentes tâches autour de dix fourneaux artisanaux construits en plein air. « Apparemment, les femmes de cette ville ne se limitent pas seulement au caoutchouc », s’exclame le chauffeur du véhicule de transport en commun qui était au courant de l’objectif de l’équipe de reportage à Dignago.
Trois cents mètres plus loin, le chauffeur gare le véhicule sous un arbuste de l’autre côté de la rue. Une dame d’environ soixante ans s’approche, parlant en malinké, exprimant sa joie d’apprendre que la presse vient découvrir l’activité de l’association « Benkéléman ». Peu après, Awa Doumbia, le point focal et secrétaire générale de cette coopérative encore non officielle, intervient en disant : « Vous êtes déjà là ! » s’exclame-t-elle.
Toute la délégation se déplace vers le quartier Sokoura par un chemin accidenté. Un camion-remorque de 18 roues est stationné sur le bas-côté de la route en terre, dissimulant un terrain non aménagé de 20 mètres sur 20.
Au lieu d’être vide, plusieurs centaines de sacs de coagulum répandent une forte odeur sur le sol. Une dizaine de jeunes, munis de couteaux, ouvrent un par un ces sacs en polystyrène. La pâte de caoutchouc, encore humide mais déjà solidifiée, remplit toute la surface des 400 mètres carrés du terrain. « Notre tâche s’arrête là, maintenant c’est aux femmes de prendre le relais », déclare Ibrahim, un jeune homme d’une vingtaine d’années.
« Effectivement », confirme Koné Moussa, le chauffeur du camion-remorque. « Je préfère que ce travail soit effectué par les femmes. Avec les hommes, il y a trop de querelles », souligne-t-il.
Ab 14h15, une dizaine de femmes commencent à installer des tabourets au milieu du tas de caoutchouc. C’est ainsi que commence le chargement, explique dame Doumbia.
En effet, ces femmes remplissent la moitié des bidons de 25 litres de coagulum. Au bout d’une demi-heure, le nombre de femmes passe d’une vingtaine à plus de 80. Un véritable travail à la chaîne commence alors, avec six autres femmes montant à bord du camion pour déverser le caoutchouc depuis le fond de la remorque.
Un coup de sifflet retentit. « C’est la policière », révèle Awa Doumbia, expliquant que toute organisation nécessite une discipline de groupe. Le rythme s’accélère de plus en plus, avec de plus en plus de femmes remplissant les moitiés de bidon. Deux échelles sont installées de chaque côté de la remorque sur une table.
Deux femmes s’appuyant sur ces échelles reçoivent les bidons et les transmettent à d’autres femmes plus jeunes, assises sur le rebord du camion. Leur tâche est de les déverser à l’intérieur de la remorque. Le chargement s’effectue ainsi à trois endroits différents du véhicule, au lieu d’un seul au départ. À 16h10, les deux tiers de la remorque sont pleins de coagulum.
Des performances physiques qui étonnent
« C’est toujours comme ça, Monsieur ! », lance le guide lance face à l’étonnement des visiteurs du village devant la performance de ces femmes.
À 17h05, les 109 femmes présentes ce jour-là commencent à quitter le site. Elles ferment les deux battants de la remorque et déplacent les échelles vers les portières pour remplir l’espace restant avec du caoutchouc, afin que la remorque soit pleine.
A 17h25 le site se vide progressivement et la joie se lit sur les visages. « Maintenant, chacune va vaquer à ses occupations domestiques », souligne la secrétaire générale, expliquant que c’est ainsi à chaque chargement. Elle précise que depuis le début du mois de mai, leur coopérative a déjà réalisé six chargements de 40 tonnes, pour lesquels elles reçoivent un paiement comptant de 100.000 F CFA par chargement.
Il convient de noter que les chargements ont lieu tout au long de l’année, à l’exception du mois de février, lorsque les pieds d’hévéa ne sont pas saignés en raison de la forte sécheresse, nous expliquent les chauffeurs.
« Dans cette coopérative, cette somme n’est pas partagée », précise dame Doumbia, qui semble être la seule à avoir fréquenté l’école française. Elle déplore le partage malheureux d’une somme de trois millions de F CFA réalisé au début du projet, confiant qu’aucune femme n’a reçu plus de 20.000 F CFA.
Aujourd’hui, la coopérative Benkéléman, regroupant des femmes de toutes les communautés autochtones et allochtones, est la plus importante en termes d’effectif parmi les quatre coopératives de Dignago qui exercent la même activité.
La vision de ces femmes est de construire un puits pour remédier au manque d’eau potable à Dignago, en particulier dans le quartier Sokoura. Elles expliquent avoir entrepris ce travail dans l’espoir de bénéficier plus tard d’un soutien pour des activités génératrices de revenus.
À terme, les économies accumulées serviront à accorder des prêts aux femmes une fois que le problème de l’eau aura été résolu.
« Nous devons absolument sortir de la pauvreté et de la précarité dans lesquelles nous nous trouvons », implore Mme Awa.
En solidarité avec leurs conjoints, elle confie que les femmes se sont engagées à rembourser ces prêts, cas par cas, à leurs époux. Avant de quitter le site, redevenu vide, les membres de la coopérative tiennent à présenter le seul homme du groupe Benkéléman, le trésorier Diarrassouba Issa, qui assure entretenir de bonnes relations avec toutes ces femmes.
(AIP)
dd/tm
Un reportage de Dogad Dogoui (AIP Gagnoa)
Encadré
Sékou Diarra (Epoux d’un membre de Benkéléman)
« Chaque fois que les vois charger ces remorques, je reste de marbre. Elles sont vraiment courageuses », témoigne M. Sékou Diarra, dont l’épouse la cinquantaine est membre de la coopérative. Il confesse qu’il envie l’organisation mise en place et la confiance qu’elles ont les unes envers les autres. « Ce n’est pas évident entre nous hommes », regrette le planteur, qui révèle qu’il demeure fasciné par ce travail qui « semble facile », lorsqu’elles l’exercent.
Source: Agence Ivoirienne de Presse